Martine Doytier, « Les Sept péchés capitaux », 1973, huile sur toile, 116 x 89 cm.
Collection Frank Horvat. Inv. MD04
C’est au XIIIe siècle que Thomas d’Aquin consigna dans sa « Somme théologique » le détail des sept péchés capitaux tels qu’ils avaient été définis en 1215 par le quatrième Concile du Latran. Avant cela, les auteurs antiques grecs et latins et ceux du Moyen-Âge traitaient des Vices et des Vertus sous la forme d’une philosophie morale de référence.
Les sept péchés ont été une source inépuisable pour les artistes de tout temps. Illustrés dans les fresques de la chapelle des Scrovegni peinte par Giotto à Padoue, dans les peintures de Brueghel l’Ancien, d’Andrea Mantegna, d’Albrecht Dürer ou dans les gravures de Jacques Callot, c’est l’interprétation qu’en donna Jérôme Bosch en 1500 dans son grand tableau qui se trouve au Prado à Madrid qui est la plus célèbre. Plus proches de nous, Otto Dix, James Ensor ou encore Gilbert & George en ont livré de magistrales interprétations modernes et contemporaines.
N’hésitons pas à inscrire Martine Doytier dans cette prestigieuse lignée et examinons comment elle a abordé ce vaste sujet dans ses Sept péchés capitaux.
Le tableau représente un immeuble de quatre étages, dans lequel sept fenêtres s’ouvrent sur sept chambres. Au rez-de-chaussée, un dormeur a oublié d’arroser ses fleurs et laisse se décoller le papier peint de ses murs. En pyjama au milieu de la journée, les pieds en éventail sur le rebord de la fenêtre, il profite simplement des joies de la paresse.
Juste au-dessus de lui, c’est à d’autres plaisirs que s’adonne le gourmand. Gras jusqu’à ne plus pouvoir fermer son pantalon, il dévore un gâteau à pleine bouche et ses yeux pétillent de désir. À sa gauche, toujours au premier étage, on retrouve le visage de Frédéric Altmann, le galeriste de Martine Doytier, tout fier de lui. Exhibant ses coupes et ses médailles sportives, c’est dans le petit miroir qu’il tient dans sa main droite qu’il admire avec évidence ses qualités plastiques et les belles boucles de sa moustache.
À l’étage supérieur, au-dessus du gourmand, c’est tout un petit groupe qui s’agite. On reconnaît Martine à la fenêtre, aussi sexy que dans Sexe Shop. Dans la chambre, un soutien-gorge virevolte, les tenues sont coquines et on ferme les volets pour que ces plaisirs charnels débridés ne choquent pas trop le voisinage. Mais la dame d’à côté maintient la fenêtre ouverte. Les larmes aux yeux et le regard envieux, elle regrette d’être délaissée par son mari qui préfère lire Le Journal de Mickey assis sur le lit conjugal plutôt que de s’occuper de son épouse négligée.
Au dernier étage, on compte ses sous avec soin dans une chambre bien mal entretenue et à la porte protégée par une chaîne, tandis qu’à côté, c’est une jeune femme en colère qui a mis la pièce sens dessus dessous, brisé la vitre de la fenêtre et effrayé le chat. Une montre à la main, elle semble avoir été mise en rage par quelqu’un qui est en retard.
Dans ce tableau, Martine ne porte pas de jugement sur ces comportements. Elle s’y est d’ailleurs représentée prenant du plaisir. Ces sept péchés, capitaux pour l’Église, ne lui posent pas problème et tout cela semble même l’amuser.
Son approche est pragmatique et renvoie à celle du philosophe Christian Godin qui, dans son livre intitulé « Ce que sont devenus les péchés capitaux », montre comment le monde moderne les a réhabilités et en a fait la base de son développement. Que serait en effet la publicité sans l’envie et la gourmandise et quelle est cette société capitaliste contemporaine dans laquelle plus personne ne se prive de ce que réprouve la morale traditionnelle ?