Martine Doytier est née à Clichy en 1947. C’est à l’âge de vingt ans qu’elle décide de s’installer à Nice et de se consacrer à la peinture. Autodidacte artistique mais douée d’un grand talent de dessinatrice et de coloriste, ses toutes premières peintures sont aussitôt le reflet d’un univers mental et narratif riche, surprenant et décalé.

Sa première exposition a lieu en 1971 à Flayosc, dans le Var. Elle est organisée par Frédéric Altmann qui sera son marchand pendant plusieurs années et, immédiatement, elle rencontre un grand succès. Chacune des dix-huit peintures qu’elle y présente raconte une histoire à l’humour corrosif. Ses personnages au corps enfantin intriguent et, tels de mimétiques poupées, leur regard invariablement noir renvoie à la profondeur de celui de l’artiste.

C’est bien souvent d’elle-même dont Martine Doytier traite dans ses tableaux, mais elle propose aussi une lecture de ceux qui l’entourent et qu’elle sait si bien saisir d’une manière à la fois acide et tendre. Les visages de celles et ceux qu’elle peint font presque toujours face au spectateur et tous questionnent et dévoilent un peu de leur drame intime en grimaçant parfois un maigre sourire. En 1969, est né son petit garçon prénommé Brice. Il sera très souvent présent dans ses tableaux : faisant de la trottinette, en visite au zoo, en spectateur chez le tondeur de chiens, en danseur de Carnaval ou en tenue de judoka, très souvent avec son petit chien Mec-Mec.

Le monde pictural que propose Martine Doytier est précis, fouillé, net et sans appel. Au fur et à mesure que les années passent et que les expositions se succèdent, sa technique s’affirme et se développe jusqu’à l’étonnement. Le succès est toujours au rendez-vous et toutes les œuvres, sans exception aucune, sont acquises aussitôt peintes par des collectionneurs empressés.

« Le Facteur Cheval », un tableau dont l’exécution semble tenir de la prouesse – tout comme le Palais de celui dont il traite – lui valut de remporter le Prix de la Fondation de la Vocation en 1978. Lauréate du prix, elle sera reçue à l’Élysée par le Président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, et sa reconnaissance ira grandissante, même si elle restera toujours circonscrite à la région où elle vit.

À Nice, le tout jeune Musée de Préhistoire de Terra Amata lui commande un tableau pour en faire son affiche et la couverture du catalogue, puis c’est le Carnaval de Nice qui lui donne toute liberté pour réaliser son affiche officielle de l’année 1981, une affiche qui sera reprise pour le Centenaire du Carnaval, en 1984. L’année précédente, en 1983, pour célébrer un autre anniversaire, celui des 150 ans des  transports urbains niçois (TN), la Ville de Nice lui demande de peindre un autobus de ligne. Par une fausse déchirure peinte, Martine révèle avec humour des entrailles mécaniques improbables. Cet autobus a longtemps circulé dans les rues de la ville et fait partie depuis plusieurs années de la collection de l’Écomusée du Haut-Pays et des Transports de Breil-sur-Roya où il est conservé en parfait état.

Au début des années quatre-vingt, Martine Doytier est une artiste reconnue. Son caractère flamboyant, son verbe haut dans les joutes verbales avec les autres artistes, son grand chien qui l’accompagne partout en font un personnage remarqué. Elle peut s’offrir le luxe de mettre des mois à peindre un seul tableau sans contrainte aucune. Depuis ses débuts, elle n’avait jamais eu à se préoccuper de la vente de ses œuvres mais à partir de 1980, elle a bénéficié du soutien matériel d’un véritable mécène : le galeriste Jean Ferrero, bien connu pour son grand talent à faire des affaires avec les artistes. Pourtant, avec Martine Doytier, à qui il achète quasiment toute la production entre 1980 et 1984, il ne revendra jamais ses œuvres et ne gagnera donc jamais d’argent. Ce n’était pas son but et il le prouvera plus tard en faisant donation à la Ville de Nice de deux œuvres importantes qu’il avait acquises : la sculpture M. Martin (1976) et le grand triptyque Autoportrait (1979-1984).

Ses dernières années sont caractérisées par la réalisation de rares œuvres dans lesquelles Martine Doytier s’investit totalement. Si la prouesse peut sembler technique, cela compte finalement assez peu pour elle. Bien sûr, les grandes toiles sont peintes avec de minuscules pinceaux d’enlumineur et la surface de l’œuvre est si pleine que le regard s’y perd, mais c’est autre chose qu’elle recherche. Ce qui la passionne, c’est l’immersion totale, la plongée dans l’infini du sujet et le caractère inachevable de sa façon nouvelle d’aborder la peinture. Son « Autoportrait », triptyque monumental peint entre 1979 et 1984, témoigne de la façon qu’elle a de parfaire chaque millimètre carré peint alors que le vide alentour en paraît d’autant plus immense et inquiétant.

Ce sera un peu de ce vide qui engloutira l’artiste un triste jour de l’année 1984. Car, malheureusement, au plus haut de sa notoriété d’artiste, au plus fort de la réception par son public des œuvres qu’elle produit avec acharnement, Martine Doytier cède brusquement à la partie sombre de sa personnalité, choisit de tout arrêter et décide de mettre fin à ses jours. Un geste qui sera mis en œuvre avec la même maîtrise qui a caractérisé chacun des moments de sa vie. Un geste incompréhensible pour beaucoup et inacceptable pour celles et ceux qui la connaissent.

C’était un 16 février. Une œuvre s’arrêta trop tôt. Une artiste disparut trop vite.

Depuis ce sombre jour, bien peu a été fait pour Martine Doytier et pour son œuvre. Les Musées de Nice présentent régulièrement ses œuvres dans le cadre de la Donation Ferrero à la Ville de Nice et un petit Jardin Martine Doytier fait face à l’entrée de l’École d’Art de la Villa Arson, sur les hauteurs de Nice.

Il était donc temps d’aller plus loin. Il était temps, par exemple, de présenter l’œuvre de Martine Doytier dans un monographie, de la commenter et de la critiquer. Il était temps d’écrire la biographie de cette artiste hors normes et de saisir ainsi pourquoi sa peinture a toujours fasciné. Et il était temps d’exposer avec générosité cette peinture, de la confronter à d’autres histoires et de lui proposer de nouvelles rencontres.

C’est ce qui a été entrepris et, tout d’abord, par la recherche des informations nécessaires à la localisation de toutes les œuvres peintes entre 1971 et 1984. Une partie a déjà été identifiée mais plusieurs d’entre elles restent encore à découvrir ou à localiser. Avec l’aide du critique d’art d’Alain Amiel, un travail de fond a été entrepris pour recueillir les témoignages de celles et ceux qui ont connu Martine Doytier et dont les souvenirs sont importants pour écrire la véritable histoire de cette artiste de la façon la plus documentée et pertinente possible afin d’éclairer à la fois son œuvre et sa vie riche et engagée.

L’ouvrage qui résulte de ce travail est co-édité par les Éditions du Regard et les Éditions Fat Label. Il a été dirigé par Marc Sanchez et complète l’exposition rétrospective des œuvres de Martine Doytier qui se tient du 3 février au 31 juillet 2024 dans l’ensemble des espaces de L’Artistique à Nice !

Rendez-vous donc à Nice pour découvrir l’univers pictural de Martine !

Martine Doytier en 1977. Photo DR.
Martine Doytier, Autoportrait, 1979-1984, huile sur toile, détail.
Martine Doytier lors de son exposition à la galerie l'art marginal à Nice, 20 février 1978. Photo DR.
Martine Doytier au travail en 1976. Photo Marc Sanchez.