MARTINE DOYTIER PAR HUBERT VAN DE WALLE

C’est au tout début de l’année 1977 que Martine Doytier présentait, à la galerie L’Art Marginal, ce qui sera sa première et unique exposition personnelle à Nice. Elle réunissait les œuvres (sculpture, peintures et gravure) réalisées entre l’été 1975 (date de son installation dans la vieille ville de Nice) et le début de l’hiver 1976, soit l’intégralité d’une année et demie de travail.

Trois grands tableaux, sa première sculpture et sa première gravure, cela représentait une véritable performance pour Martine : trois peintures de grand format peintes avec la plus grande des minuties, une sculpture taillée dans le mélèze et complétée par des mécanismes et un automate entièrement réalisé de ses mains et, enfin, une gravure en taille-douce, réalisée dans l’atelier de Pascal Giraudon et qui reprenait le thème de son tableau intitulé L’Évasion.

Il faut dire qu’il s’agissait là d’une nouvelle vie pour Martine. Pendant l’été 1975, elle s’était séparée de son mari, Jean Delacquis, et s’était installée avec son nouveau compagnon au 3 rue de la Poissonnerie, dans le Vieux-Nice et, bien que l’exiguïté des lieux ne lui permettent pas encore de vivre au quotidien avec son fils Brice, alors âgé de cinq ans, toute son énergie était consacrée à son art et ce n’était pas un hasard si le premier tableau peint pendant cette période était intitulé L’Évasion.

Le texte ci-après était reproduit sur l’invitation au vernissage de l’exposition à la galerie L’Art Marginal. Il était écrit par son grand ami et artiste, Hubert Van de Walle.

Marc Sanchez

Martine Doytier
par Hubert Van de Walle

Pour présenter Martine, il faut aller droit au but, soutenir son regard, reconnaître l’exigence de pureté sous sa véhémence. Car elle est avant tout intérieure, non pas secrète mais spontanément entière, gourmande de vie. Ainsi, elle peint passionnément, loin des systèmes judicieusement élaborés, tout bonnement par prouesse de rêves secrets. L’arrière-pays mental de Martine est une revanche de la vérité. C’est LA grande quête acharnée, le risque fondamental sans autre garantie que son enthousiasme. Merci Martine, ta peinture n’est pas un « truc », on peut s’y retrouver.

Bien d’aujourd’hui, Martine tire la langue aux machines envahissantes et aux humains qui s’y dupent. Par bonheur, elle évite l’amertume et le dégoût par sa ferveur à peindre le moindre détail. Le petit monde qu’elle nous présente est grouillant, satirique. C’est encore « la comédie humaine ». L’apparence des sujets dénonciateurs est dépassée pour conduire à l’énorme tendresse du monde. Ainsi, tout autour des visages tracassés, presque hagards, Martine fignole, de sa main heureuse, une dentelle vieillotte ou un engrenage qu’elle a su apprivoiser. Elle nous propose à aimer la pelure moirée d’un minuscule oignon au creux d’un panier, des doigts grassouillets et bagués sur les plis ronds et secrets des tissus à fleurettes ou à carreaux dont elle habille ses personnages. ici, parait-il, on reconnait B…, et là F…, mais tous ont les yeux de Martine et, au grand jour, elle fait se rencontrer la veulerie quotidienne et la foi au bonheur.

Mais Martine ne vous expliquera rien, à vous de comprendre et de rechercher le sens de ses compositions complexes. « A quoi bon peindre alors, s’il faut parler encore ? », dit-elle. Si le cœur vous en dit, vous y êtes. Ne le voyez-vous pas ? Le pinceau sur lèvres, Martine laisse jaillir un cri muet qui en dit long. Elle peint d’après nature, sur le motif reflété au fond de sa conscience et c’est tout en peignant qu’elle découvre et exprime sa propre connaissance. Faites-lui confiance, comme à vos pensées précieuses-honteuses. Celles que l’on ne confierait à personne pour tout l’or du monde. Car c’est de cela dont il s’agit. Martine à fait son choix entre Être ou Paraître. Aussi sa peinture nous concerne-t-elle tous, en groupe et individuellement. On ne peut plus fermer les yeux car elle les tient grands ouverts. Dans ses toiles, la revendication sans colère, sans pitié mièvre et convenue, prouve la force de la personne et confirme son statut de grand peintre.

En somme, Martine Doytier peint tout haut ce qu’elle pense tout bas. Elle le peint bien, méticuleusement, d’un métier sur et fier. Mais, pour elle, les moyens et leurs effets passent loin derrière ce qui constitue sa vraie victoire : être elle-même ! Les deux pieds sur terre, Martine peint par-dessus les toits. Prêtez donc l’oreille à cette grande dame qui tient bien en laisse son grand chien gris.

Hubert Van de Walle
novembre 1976

Ce texte a constitué la préface de l’exposition « Martine Doytier à L’Art Marginal », 20 janvier – 19 février 1977, galerie L’Art Marginal, 17 rue de la Préfecture, 06300 Nice.

Œuvres exposées :
L’Évasion, 1975, huile sur toile, 100 x 81 cm.
Mr Martin, 1975-1976, sculpture en bois peint, métal, mécanismes et automate, 165 x 260 x 220 cm.
A l’Usine, 1976, huile sur toile, 114 x 146 cm.
Les Autres, 1976, huile sur toile 130 x 97 cm.
L’Évasion, 1976, gravure à l’eau-forte sur papier, 60,5 x 50,5 cm, tirage 50 exemplaires.

 

Martine Doytier, Croquis préparatoire pour l’exposition à la galerie L’Art Marginal, encre sur papier, 27 x 21 cm. Collection privée, Paris.

 

Vue générale de l’exposition à la galerie L’Art Marginal.

 

Hubert Van de Walle (1930 – 2014) est un artiste peintre qui a résidé à Nice dans les années 1970-1980. Les sujets de sa peinture étaient principalement des natures mortes emplies de poésie, aux couleurs douces et légères et composées avec une grande finesse. Son œuvre plastique dialoguait avec son goût pour l’écriture poétique et pour une vision qui se voulait enchantée du monde. Mais Hubert Van de Walle l’exprimait avec un esprit sarcastique, un humour affirmé et un intérêt certain pour les jeux de mots, comme en témoigne le titre de son dernier ouvrage « Peinturlupinade », paru aux éditions Fini/Infini de Montréal en 1993.

Site Internet
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