Martine Doytier, « Les Bâtisseurs (Carros) », 1974, huile sur toile, 100 x 81 cm.
Collection Marc Sanchez, Paris. MD07.
Les Bâtisseurs (Carros) est une œuvre clé dans le parcours artistique de Martine Doytier. Elle illustre un changement de style radical qui inaugure une nouvelle manière de peindre et un nouvel ensemble de peintures.
Lorsque, au printemps 1974, Martine installe son atelier à Carros-Village, c’était pour le plaisir de travailler dans un village d’artistes. Mais c’était aussi pour se rapprocher de Pierrick Spalaïkovitch et bénéficier de ses conseils. Pierrick est un peintre qui maîtrise les techniques classiques de l’huile, du sfumato, de la laque de Chine, de la miniature, de la fresque et de la gravure.
Martine a conscience qu’elle ignore encore beaucoup de choses en peinture. Depuis trois années, c’est toute seule, peinture après peinture, qu’elle a appris à peindre et le chemin parcouru est important. En dialoguant avec Spalaïkovitch, elle se rend compte de tout ce qu’elle ne sait pas, de sa méconnaissance des règles de la perspective, de sa façon un peu élémentaire d’utiliser la peinture à l’huile et de la trop grande simplicité dans la composition de ses tableaux.
Martine est ambitieuse et c’est une travailleuse acharnée. Elle demande à Spalaïkovitch de lui enseigner les techniques qu’elle ignore. Heureusement, il est à la fois un bon peintre et un excellent pédagogue. Et Martine est une élève avide d’apprendre.
Très vite, elle comprend ce que sont les transparences des glacis à l’huile, comment on nourrit leur profondeur et comment on leur fait saisir la lumière. Pour elle, c’est une découverte majeure et, soudain, ses œuvres prennent des airs vénitiens ou flamands et ses ombres tiennent du clair-obscur. Elle mesure également tout l’intérêt qu’il y a à bien préparer sa toile avant de commencer à peindre, à la teinter en gris pour magnifier les couleurs des fines couches de peinture à l’huile. Depuis ce jour, plus jamais elle ne peindra sur une toile blanche.
La perspective, qu’auparavant elle abordait timidement, à présent la fascine. Elle aime à jouer avec son tracé et apprécie tout autant les beaux dessins rigoureux que les erreurs qu’elle se plaît à introduire en multipliant volontairement les points de fuite ou en mêlant de façon non académique perspective cavalière et perspective axonométrique.
Quant à la composition, elle a compris l’importance qu’il faut donner au déséquilibre pour animer une scène. Les Bâtisseurs en constituent son premier essai et le résultat est considérable. Le gouffre noir engloutit à la fois les personnages et le regard du spectateur. On ressent le vertige créé par le vide et la sérénité des enfants qui jouent à proximité n’en parait que plus étrange.
Quel est ce monde multiple dans lequel s’accumulent toutes ces scènes ? Dans lequel sont mêlées mécanique et architecture, terreur et quiétude, enfance et vieillesse ? Le titre de l’œuvre – Les Bâtisseurs (Carros) – indique que nous sommes dans ce village médiéval dans lequel Martine s’est installée pour y pratiquer une peinture d’une autre époque.
Car c’est là qu’elle est heureuse, dans ce mélange des genres, dans ce regard porté sur le présent qui donne place aux richesses du passé et dans ces décalages essentiels sur lesquels, désormais, elle va construire sa vie d’artiste.