Martine Doytier, « Le Train de banlieue », 1973, huile sur toile, 81 x 100 cm.
Collection Famille Salgé, Montlouis-sur-Loire. Inv. MD39
Martine Doytier, quand elle était enfant, a souvent voyagé dans ce train de banlieue. C’est, aujourd’hui, la ligne L du Transilien SNCF qui relie la gare de Paris Saint-Lazare à celle de Versailles Rive-Gauche. Le train s’arrête toujours à Saint-Cloud, Sèvres, Chaville, Viroflay, Montreuil et Versailles est son terminus, comme l’indique le panneau latéral du wagon.
À l’été 1961, la famille Doytier vient de s’installer dans leur nouvelle maison à Chaville, en banlieue parisienne. C’est ce train que Martine emprunte chaque matin, à l’âge de 13 ans, pour se rendre au Lycée technique de Versailles où elle prépare un BEP secteur tertiaire. Elle n’y restera que deux années, jusqu’en juillet 1963, cette formation n’étant pas faite pour elle. Elle suivra alors brièvement un cours privé de dessin à Paris puis, pendant trois années, sera apprentie chez un maître-potier à Meudon, Georges Gehel. Mais c’est là une autre histoire.
Dix ans plus tard, en 1973, c’est la toute jeune Martine, qu’elle peindra, regardant par la fenêtre du dernier wagon du train. Il est 17 heures, la journée de travail se termine et de tous les passagers, elle est la seule à regarder au-dehors montrant qu’elle a hâte de quitter ce train. Les autres voyageurs sont occupés : l’un lit le Petit Livre Rouge alors que son voisin est plongé dans Le Figaro, une autre tricote pendant que son voisin somnole.
Martine se sent déjà différente de celles et ceux qui l’entourent. Ce monde-là ne lui convient pas : les usines en arrière-plan crachent une fumée trop noire ; un panneau rouge et blanc impose le silence ; les murs sont surmontés de barbelés ; il est interdit d’afficher ; la chienlit c’est les autres ; ni Marx ni Jésus ne sont dignes de foi ; laissez-nous vivre, disent les murs ; la demande de libération du jeune militant communiste Henri Martin y est encore inscrite alors qu’elle est intervenue dix ans plus tôt ; des rouages mécaniques apparaissent un peu partout et les trois horloges peintes indiquent des heures différentes. Tout cela n’est vraiment pas fait pour elle.
Le train arrive en gare de Chaville. Martine va regagner sa maison et retrouver sa famille. Elle cherche le sens de sa vie et les voies qu’elle emprunte ne lui conviennent pas. Dix ans plus tard, c’est le visage d’une petite fille aux yeux grands ouverts qui en témoignera.