Martine Doytier, « Projet pour la Chapelle alpine Saint-Joseph de Sauze-le-Vieux », 1974,
crayon graphite sur papier Bristol, 62,5 x 46,5 cm.
Collection Marc Sanchez, Paris. Inv. MD101
Nous sommes en 1972 et Martine Doytier peint depuis un an. Elle a réalisé sa première exposition à Flayosc dans le Var et sa peinture se vend très bien. Cela constitue une source de revenus supplémentaires non négligeable et elle peut donc envisager de réaliser l’un de ses rêves : acheter une maison à la montagne.
Ses recherches l’amènent à Sauze, un village du Haut Pays, situé à une centaine de kilomètres de Nice et dans lequel un ami possède une maison. À Sauze, on trouve de grandes maisons anciennes, construites en matériaux locaux : pierre, mortier, poutres de mélèze et belles toitures recouvertes de bardeaux de mélèze.
La maison que choisit d’acquérir Martine se trouve dans la partie de Sauze nommée Les Moulins dont elle avait déjà représenté l’église dans le tableau La Bergère. Elle n’est pas en bon état et demanderait d’importantes restaurations pour être habitable, mais peu lui importe : être propriétaire d’une maison traditionnelle dans une des hautes vallées du Pays niçois est déjà pour elle un véritable bonheur.
Le village montagnard de Sauze a été fortifié au XIIIe siècle, il est isolé au milieu des champs et on y accède par une petite route sinueuse. C’est lors d’une rencontre avec le Maire de Sauze que naît une idée : Martine pourrait peindre les murs intérieurs d’une petite chapelle alpine dédiée à Saint-Joseph qui se trouve au milieu des champs. L’idée l’enthousiasme et, dès le mois de juin 1972, l’édition régionale du journal Nice-Matin annonce le projet.
La chapelle est une simple maisonnette au toit pentu recouvert de tôle sur lequel se dresse un petit clocher. Sa façade est percée d’une porte et de trois fenêtres. Elle a été construite au XVIIIe siècle et restaurée en 1970.
En 1974, l’idée avait fait son chemin et Martine s’attela alors à la réalisation d’un projet sous la forme d’un grand dessin au crayon montrant ses propositions pour l’abside de la chapelle. En son centre, au-dessus de l’autel, se trouvent Marie et Joseph, main dans la main, agenouillés et recueillis. Ils sont dessinés avec soin et l’adresse graphique de Martine est surprenante, car c’est le tout premier dessin que l’on connaît d’elle.
Au-dessus et sur la gauche de Marie et Joseph, un groupe de personnes se réjouit de la naissance à venir de l’enfant que porte une future maman au ventre arrondi. Autour d’elle, on lève les bras vers le ciel en signe d’allégresse et de remerciement. De l’autre côté du mur, c’est tout l’inverse qui se passe. Une bataille fait rage, un homme est transpercé par une lance en forme d’aiguille, d’autres corps gisent au sol ou sont prêts à tomber dans le vide. Ici, point de sérénité, c’est le côté obscur des Cieux qui est représenté, celui qui héberge l’Enfer.
Dans la partie basse du dessin se trouve le monde des humains. Tout y est plus calme. Un maçon et un menuisier restaurent les bâtiments d’un village qui semble avoir souffert d’un tremblement de terre, des colonnes brisées et des murs fissurés en témoignent. Dans ce village, on travaille paisiblement, on boit du vin au pichet, on transporte des branchages pour préparer un feu et les regards se tournent vers le ciel.
Martine n’a pas terminé le dessin de son projet. Le médaillon central, au-dessus de l’autel, n’est pas dessiné. Pourtant, la riche décoration de son encadrement qui est esquissée indique que son sujet devait être important.
Malheureusement, la chapelle Saint-Joseph ne sera jamais peinte, car les fonds nécessaires à cette réalisation ne purent être réunis. Cela est bien dommage, car Martine était tellement enthousiasmée par ce projet qu’elle aurait donné le meilleur d’elle-même pour le mener à bien et transformer la chapelle alpine de Sauze en l’une des plus belles chapelles ornées de la région.