Chez Ben
1981

Martine Doytier, « Chez Ben  », 1981, huile sur panneau Isorel, 23 x 33 cm.
Collection Jean Ferrero, Nice. MD28.

Benjamin Vautier, dit Ben, est, sans conteste, l’artiste de Nice le plus actif depuis, qu’à la fin des années cinquante, il ouvre une boutique de disques d’occasion au 32 rue Tonduti de l’Escarène. Par l’accumulation d’objets et d’écritures dont il couvre rapidement la façade et l’espace intérieur et par l’activité frénétique qu’il y développe, sa boutique qui est également une galerie d’exposition, devient rapidement, non seulement incontournable, mais également une véritable œuvre d’art. Soigneusement démontée et réinstallée, elle fait partie à présent des collections du Musée national d’art moderne du Centre Pompidou à Paris.

Au milieu des années 70, Ben acquiert une grande maison à Saint-Pancrace sur les hauteurs de Nice pour s’y installer avec son épouse, Annie et ses deux enfants, Éva Cunégonde et François Malabar. Rapidement, il transforme la façade en une œuvre d’art accumulative en perpétuelle évolution et mutation. Ben a cette capacité à changer en art tout ce qu’il touche, tout ce qu’il fait, tout ce qu’il écrit. C’est même là un de ses crédos : « Tout est Art ».

Lorsqu‘il s’attaque à L’Estafette Renault qu’il vient d’acheter d’occasion, c’est, bien sûr, pour la recouvrir intégralement de textes, de déclarations, de dessins et d’objets de toutes sortes. Pas un centimètre carré, extérieur et intérieur, qui ne soit touché, transformé, occupé, converti en création artistique.

La scène que choisit de peindre Martine Doytier autour de L’Estafette représente une querelle de marchands. Sur la droite, Jean Ferrero, célèbre galeriste installé à Nice et, à gauche, Daniel Templon, directeur de la galerie d’avant-garde qui porte son nom à Paris, se battent pour acquérir L’Estafette. Ben semble effrayé par cette bagarre et grimpe à l’échelle de la camionnette alors que Daniel Templon le tire par le pied et lui baisse le pantalon. Jean Ferrero, patins à roulettes aux pieds et la main sur le cœur, tente de prouver par ce geste qu’il est celui qui aime le plus Ben et son art. Daniel Templon, au contraire, use de la force comme argument de persuasion. Il piétine pourtant une œuvre de Ben, ce qui ne semble pas être une action en sa faveur.

C’est Jean Ferrero qui gagna le combat, car il acquit L’Estafette de Ben pour sa collection personnelle. Il ne l’a jamais revendue, comme i faisait parfois pour certaines œuvres qu’il aimait tout particulièrement, prouvant par là qu’il, non seulement un grand marchand, mais également un vrai collectionneur. Il est à noter que de toutes les œuvres de Martine acquises par Jean Ferrero entre 1978 et 1984, aucune n’a été revendue et deux pièces maîtresses, L’Autoportrait et M. Martin ont fait l’objet d’une donation de sa part à la Ville de Nice.

L’Estafette de Ben fait partie de cette Donation dont une grande part des œuvres est présentée en permanence et par roulement à L’Artistique. Malheureusement, la nature du lieu ne permet pas d’exposer L’Estafette.

On peut espérer qu’un jour la Mairie de Nice trouvera une solution pour exposer cette œuvre majeure en l’installant dans un lieu où elle serait vue par le public et protégée comme il se doit. Et, pourquoi pas, en compagnie de L’Autobus déchiré de Martine Doytier ?

Jean Ferrero, et celles et ceux qui aiment l’œuvre de Martine, en seraient certainement très heureux.