Martine Doytier, « Le Déjeuner sur l’herbe », 1972, huile sur toile, 38 x 46 cm.
Collection Reynier, Cucuron. Inv. MD17.
Depuis la Renaissance, le thème du repas champêtre a été particulièrement prisé par les artistes. Vers 1509, Giorgione (ou peut-être Le Titien…) peignit son Concert Champêtre dans lequel deux femmes nues accompagnent deux hommes richement vêtus. Édouard Manet s’en inspira en 1863 pour peindre son Déjeuner sur l’herbe qui fut jugé scandaleux, car aucun sujet mythologique ne venait justifier la présence d’une femme dévêtue accompagnée de deux hommes vêtus.
Beaucoup d’autres artistes ont sacrifié à cette tradition qui s’est transformée en discussion par œuvre interposée. Claude Monet répondit à Manet en 1865, Paul Cézanne fit de même dix ans plus tard puis Jules Chéret en 1905, Pablo Picasso réinterpréta de mille manière la peinture de Manet, jusqu’à Jean Renoir adapta le sujet au cinéma en 1959 et Alain Jacquet le traita en sérigraphie mécanique en 1963.
Martine Doytier s’inscrit-elle dans cette coutume ? Elle avait connaissance de ce dialogue artistique, mais son approche du sujet est plus austère que chez ses prédécesseurs.
Tout d’abord, dans le Déjeuner sur l’herbe de Martine, il n’y a pas de personnage féminin dénudé. Bien au contraire, dans son tableau les deux femmes portent un foulard pour cacher leur chevelure, leurs vêtements ne laissent rien voir de leur corps et rappellent les tenues d’Europe centrale. Quant au déjeuner lui-même, soit il n’est pas encore servi, soit il témoigne d la pauvreté des participants. Ils n’ont qu’une tranche de pain, tenue dans une main, et une seule petite bouteille est posée sur la grande nappe blanche. Les assiettes sont vides et pas de sac de provisions à proximité qui laisserait espérer l’arrivée de victuailles.
Comme dans tous les tableaux de Martine, les visages sont graves, les regards pensifs et aucun dialogue ne semble engagé. Les arbres sont monochromes et semblent parfois brûlés. Le ciel est lourd et la tonalité des couleurs de l’œuvre donne une sensation de froid. Seul le petit village, au détour de la rivière, est éclairé par un rayon de soleil.
Il faut noter le souci du détail dans la peinture de ce village. On est déjà bien loi du traitement de celui du tableau Un Dimanche à la campagne, peint un an plus tôt et que dire des arbres qu’elle a appris à peindre avec grand soin.
Que veut donc dire Martine avec ce Déjeuner ? Les expressions des personnages n’exprimant aucune tristesse, peut-être souhaite-t-elle tout simplement nous faire partager un moment de sérénité ? Car Martine peint depuis une année et ses œuvres sont de plus en plus retenues, silencieuses, voire méditatives. C’est donc très certainement à la réflexion intérieure et à la quiétude que Le Déjeuner sur l’herbe nous invite.