Sans titre
1982

Martine Doytier, « Sans titre », 27 novembre 1982, crayon graphite sur papier Canson, 41 x 33 cm.
Collection Brice Delacquis Doytier, Nice. MD105.

Martine Doytier dessinait au crayon comme elle peignait à l’huile. Elle recouvrait la surface du papier avec la même intensité que celle de la toile. Chaque centimètre carré dessiné était définitif, aucune retouche ou repentir n’était envisageable et elle n’utilisait jamais de gomme à effacer.

Il faut donc distinguer les dessins, que Martine considérait comme des œuvres à part entière, signées et datées, des croquis qu’elle produisait parfois  pour mettre au point un projet. Ces derniers ne répondaient qu’au besoin de trouver la forme juste, d’affiner une expression ou un mouvement avant de les peindre et, dans ce cas, sa liberté était totale. Tracés librement sur des morceaux de papier de tous types au stylo à bille, au feutre ou au crayon et quelquefois largement annotés, leur nombre, parfois important pour une même œuvre, indique que la réflexion préparatoire était plus ou moins complexe.

Ce dessin appartient à la première catégorie. Il est travaillé dans le détail avec une incontestable virtuosité graphique et son sujet montre qu’au même moment, elle travaillait au second panneau de son grand Autoportrait, entrepris trois années auparavant.

Les objets amoncelés ici proviennent exclusivement de la maison. On y trouve des margarines Astra et Fruit d’Or, du dentifrice Colgate, du lait Candia, de nombreux oignons et quelques gousses d’ail. La bouteille de verre étoilée est de celles qui sont consignées, les Gauloises bleues sont celles que fumait Martine. Autour de la boîte de sardines, la situation est plus mystérieuse. Un personnage presque chauve et aux mains percées tend ses bras vers l’extérieur comme pour échapper à l’étreinte de quatre autres mains sans corps. Il semble lutter pour s’extraire de ces déchets qui menacent de l’engloutir et ses deux mains aux stigmates se tendent vers l’espace vide de la feuille de papier. Comme lui, quelques herbes desséchées tentent de survivre au sommet de cette pyramide organique.

Ce dessin semble être un appel à l’aide. Il pourrait être celui de Martine qui, à cette époque, vivait des moments difficiles. Peut-être est-ce même la raison pour laquelle il n’a pas de titre. Comme si les mots étaient venus à lui manquer et que seul le dessin était à même d’exprimer son angoisse.