Pendant l’été 1975, Martine Doytier décide de changer radicalement de vie. Elle se sépare de son mari, antiquaire à Nice, confie le quotidien de son petit garçon de cinq ans à ses beaux-parents, quitte sa villa des beaux quartiers de Fabron et loue un minuscule studio situé au 18 rue de l’Abbaye dans le Vieux-Nice.

Aussitôt installée dans sa nouvelle vie, elle achète une grande toile sur châssis et se met à peindre un tableau qu’elle intitule L’Évasion, en référence à sa liberté nouvellement conquise. À ce jour, l’œuvre n’a pas été retrouvée, mais, un an après l’avoir peint, en 1976, Martine réalisa cette gravure qui le reproduit fidèlement.

L’Évasion se divise en deux parties très différentes. La partie inférieure montre un environnement minéral et austère, entouré des parois d’une falaise abrupte. Une personne, qui semble être une femme et pourrait être Martine elle-même, est agenouillée. Sourire aux lèvres, elle débite une grosse pierre en petits blocs parallélépipédiques pour construire un solide escalier en colimaçon. Elle vit dans une caverne et souhaite s’en échapper pour atteindre le niveau supérieur où la vie est plus douce. Là-haut, une famille pique-nique sous un arbre garni de fruits et un village perché est éclairé par la lumière d’un beau soleil. Au bord de la falaise, un petit garçon intrigué montre du doigt la travailleuse.

La tâche entreprise par la tailleuse de pierre est ardue. L’escalier est à la fois laborieux à ériger et inadapté au but à atteindre. Pourquoi se donner tant de mal alors qu’il y aurait d’autres moyens plus simples d’escalader cette paroi ? Peut-être est-ce une métaphore illustrant les voies complexes et absurdes que l’on emprunte parfois pour atteindre un but pourtant tout proche. Comme, par exemple, rompre avec sa vie précédente d’épouse, ce qui n’a pas été aisé pour Martine.

L’Évasion serait alors le symbole de sa vie nouvelle, dans cette vieille ville qu’elle découvre et qu’elle aime déjà. La gravure a été réalisée dans l’atelier de Pascal Giraudon, graveur traditionnel installé dans le Vieux-Nice. Avec lui, Martine a appris la technique de la gravure sur cuivre à l’eau-forte et les subtilités de la taille-douce, de ses encres et de ses noirs et blancs.