Martine Doytier, « La Marchande de bonbons », 1973, huile sur toile, 80 x 65 cm.
Collection Patrick-Jean Rougeot, Nice. Inv. MD69.
Comme souvent dans les tableaux de cette époque, Martine Doytier raconte une petite histoire qui la concerne directement et dans laquelle les personnages représentés sont des proches. En 1973, ce sont encore de petites saynètes, comme une simple image tirée d’une bande dessinée et, par la suite, ses tableaux deviendront plus complexes jusqu’à se transformer en larges fresques.
Dans La Marchande de bonbons nous sommes chez Tante Prisca, experte en friandises qui attirent les enfants à la sortie de l’école. Son visage est bienveillant, elle porte un élégant couvre-épaules en fine dentelle et une croix dorée. Au dehors, un petit garçon médaillé qui sort de l’école tire sur le bras de sa maman et n’a pas le droit d’entrer. Tante Prisca sert un garçon aux joues écarlates, aux genoux rougis et qui vient certainement de jouer au ballon avec son grand chien gris. Il n’a que cinq centimes pour toute fortune et, en échange de cette minuscule somme, il n’obtiendra qu’un demi-caramel, un petit carré de nougat ou une seule boule de gomme et certainement pas le grand Malabar, le rouleau de réglisse avec son bonbon à l’anis coloré ou le sachet de Car en Sac. Les grands cornets surprises Fille ou Garçon sont également hors de sa portée et il devra se contenter d’une friandise en rapport avec ses petits moyens.
Il s’agit là certainement de Brice, le fils de Martine qui, à cette époque, avait un peu plus de trois ans, l’âge d’aller acheter ses bonbons tout seul ! Derrière lui, sa chienne sans collier attend calmement la fin de la transaction et ne semble marquer aucun intérêt pour les sucettes Pierrot Gourmand multicolores et autres sucreries savoureuses. Il s’agit d’Urane, la première Dogue allemande de Martine acquise à l’été 1972 et qui sera sa compagne fidèle de chaque instant.
La nature de la technique picturale de Martine placerait la réalisation de ce tableau dans le courant de l’année 1971, avant sa première exposition et lors de la mise en place des formes et du dessin de ses œuvres. Pourtant, une analyse plus fine permet de le dater précisément du mois de mars 1973. Essayons d’en étudier les raisons. Un article du journal Nice-Matin, daté du 7 avril 1973, montre la photo de l’œuvre et indique qu’il s’agit là du « dernier tableau de Martine ». Puis, le dessin du sol en carrelage noir et blanc, qui ignore radicalement les règles de la perspective, est comparable à celui d’un autre tableau, intitulé Carnaval, peint également au début de l’année 1973.
Tout semble donc correspondre et l’on peut se demander pourquoi Martine peint les carreaux du sol de façon orthogonale comme s’il s’agissait d’un mur vertical alors que, dans d’autres tableaux peints plus d’un an auparavant, elle prouve qu’elle sait parfaitement dessiner un carrelage en perspective aux lignes fuyantes. Est-ce une volonté de sa part de ne pas révéler qu’elle sait dessiner avec justesse afin de conserver ce style naïf que le public appréciait ? Cela est bien possible et ce tableau témoignerait alors de l’une de ses dernières hésitations avant sa rupture finale avec le « style naïf » qui commençait à lui peser et dont les tableaux peints en 1974 seront définitivement exempts.