Le Rêve
1973

Martine Doytier, « Le Rêve », 1973, huile sur toile, 120 x 90 cm.
Collection Philippe Vitali, Lyon. Inv. MD68.

Dans ce tableau intitulé Le Rêve, Martine Doytier donne forme aux divagations mentales d’un personnage qui, accoudé à sa table, s’est endormi sous l’effet de la boisson. La bouteille de vin vide est là pour en témoigner.

Il est vêtu tout de noir et il pourrait s’agir d’un prêtre, ce qui expliquerait la présence de plusieurs religieuses dans son rêve. Mais aucun élément ne permettant de confirmer cette thèse, c’est tout simplement un homme endormi au visage calme et serein que nous verrons dans ce tableau.

De son cerveau libéré par le sommeil des contraintes de la raison s’échappent des dizaines de personnages qui, en rang par deux, s’enfoncent dans les nuages et dans les flots. Ils en émergent pour s’éparpiller sur les toits d’une cité aux bâtiments blancs mais on ne sait s’ils s’amusent ou s’ils crient au secours. Sur la gauche du tableau, un personnage fantomatique est précipité dans un gouffre formé de blanches façades aux sombres fenêtres.

Plus bas, peut-être pour s’échapper de ce rêve et rejoindre la réalité, un petit bonhomme en pantalon à rayures et aux yeux écarquillés s’accroche aux nuages pendant que, tout en haut du tableau, un cycliste à pull rayé pédale dans les cieux.

Continuons notre promenade. Sur la droite du tableau, une ronde se tient autour d’une femme nue agenouillée qui tient ses bras au-dessus de sa tête en signe de liberté. Les personnages vêtus de rouge et de noir qui l’entourent sont chauves et sans visage. Deux d’entre eux, ayant retrouvé leur chevelure, gravissent des marches qui les conduisent à une balance trébuchet, instrument autrefois utilisé pour les pesées de grande précision. L’un de ses plateaux est occupé par un bébé qui s’agite sans toutefois rompre l’équilibre. Va-t-on y peser les âmes comme lors de Jugement d’Osiris dans l’Égypte antique ou comme lors du Jugement dernier dans la Bible ? Il faudra alors être aussi pur que ce nouveau-né pour entrer dans ce Paradis aux petits nuages bleus. L’épreuve s’avère difficile après avoir dansé autour de la jolie femme dévêtue. Les refusés finiront peut-être dans cette sombre prison aux méduses qui virevoltent autour d’une cuvette de WC…
Le personnage endormi semble donc avoir quelques petits soucis qu’il exprime pendant son sommeil. Mais le rêve ne s’arrête pas là. Il y a place pour la lubricité, pour les fantasmes et pour l’extravagance.

C’est au centre du tableau que l’on se retrouve alors. Quatre personnages occupent la scène : deux hommes nus et deux religieuses dont l’une porte moustache. L’homme du premier plan a de griffes longues griffes crochues, il est borgne, glabre et androgyne. Il tient la main de la bonne sœur moustachue dont la tunique laisse échapper un sein. Sa cornette bien fixée sur la tête, pieds nus, elle lève haut la jambe. Quant à la seconde religieuse, c’est toutes fesses dehors qu’elle montre son crucifix à un petit homme souriant qui lui fait face, sexe dressé et bras levés.

Nombreuses sont les péripéties qui peuplent ce rêve. Le vin devait être bon et il a fait son effet. Mais que restera-t-il de ces aventures au réveil ? Rien, comme d’habitude. Ou seulement de fugaces impressions qui seront vite oubliées. Il faut donc remercier Martine Doytier d’avoir saisi cette promenade dans l’inconscient et de nous la faire partager !