Le projet de Martine Doytier, célébrant le 150^e anniversaire des Transports en commun de Nice, a été sélectionné par le Jury qui s’est réuni pour l’occasion en juillet 1982 et auquel participaient plusieurs artistes. Elle peut donc se mettre au travail et, peu après, lui est confié un autobus Renault SC10, modèle classique du milieu des années 70, préalablement repeint en blanc à sa demande.

Martine aborde la peinture de cet autobus comme elle le fait pour ses tableaux : même technique, mêmes matériaux, même façon de peindre. En novembre 1982, elle s’installe dans les ateliers techniques des TN (Transports Niçois) qui se trouvent à Drap, petite ville située à l’entrée de la vallée du Paillon. Pendant trois semaines, pinceaux à la main, elle fera le tour de ce véhicule qui lui paraît soudain gigantesque et démesuré. C’est, en effet, à une peinture de vingt-sept mètres de longueur, l’équivalent du périmètre du véhicule, qu’elle s’affronte au quotidien pour y représenter une déchirure emplie de rouages, de tuyauteries et d’appareils de tous types. Dans ce projet, elle retrouve l’esprit de plusieurs de ses tableaux précédents tels que Face à Face de 1972 ou À l’Usine, de 1976.

Martine parle de ce travail comme d’une épreuve, car elle peint sous le regard des techniciens du dépôt des autobus. Elle répond à leurs nombreuses questions et entend leurs commentaires parfois moqueurs. Il faut dire que c’est surtout de la surprise qu’ils expriment. Dans cet univers essentiellement masculin et technique, ils sont amusés par ce qui est en train de prendre forme sous leurs yeux et par cette jeune femme qui ne doute de rien. Peu à peu, la maîtrise picturale et l’opiniâtreté de Martine forcent leur respect et, alors, elle devient le centre d’intérêt de cet atelier. À l’issue du travail, dit-elle, elle avait l’impression d’être entourée d’un groupe d’amis admiratifs !

L’Autobus déchiré fut inauguré officiellement le 5 février 1983. Il fut immédiatement affecté à la ligne 3 sur laquelle il transporta quotidiennement les voyageurs de La Madeleine à Riquier, jusqu’à sa réforme, quinze années plus tard, en 1997. La Ville de Nice décida alors de le conserver en l’état et aménagea son intérieur pour en faire un Expo Bus pouvant accueillir de petites expositions itinérantes et recevoir les enfants des écoles pour des animations culturelles.

Beaucoup de niçoises et niçois ont ainsi croisé la route de L’Autobus déchiré et, sur la ligne 3 ou dans les classes, sa rencontre représentait toujours un petit événement.

Depuis septembre 2000, il est confié à l’Association des Tramophiles de la Côte d’Azur qui a la charge de sa bonne conservation. Il est déposé à l’Écomusée du Haut Pays et des Transports de Breil-sur-Roya où il est conservé en parfait état, visible par le public du musée.

L’Autobus déchiré est la plus grande œuvre de Martine. Peut-être, un jour, pourra-t-il reprendre la route et retrouver son public !